Le poète, le vélo et le Ventoux
 
(article du Dauphiné Libéré du x août 1998)
 
        Un professeur de mathématiques belge fait 1200 kilomètres à vélo en 6 jours pour rendre hommage au « Géant de Provence » sur les traces de Pétrarque.

        C’est une histoire d’amour ! Une histoire d’amour entre un homme, une montagne et le sport qui les unit. L’homme s’appelle Alex Tresignie, il est belge flamand (comme son nom ne l’indique pas), professeur de mathématiques dans un lycée de Bruxelles, c’est en 1979, alors qu’il n’a que 30 ans qu’il arrive à Bedoin et découvre pour la première fois le pays du Mont Ventoux dont il fait aussitôt l’ascension à vélo. Tout de suite ce sera le coup de foudre, il tombe immédiatement amoureux « du grand géant de Provence », de la diversité des paysages contrastés qui l’entourent comme de la rudesse du défi qu’il offre aux amateurs de la « petite reine ». L’homme du plat pays, sportif accompli, passionné de vélo, est fasciné par cette montagne mythique qui lui donne l’occasion de se colleter avec lui-même tout en découvrant une nature sauvage, à la fois douce et rugueuse d’une richesse incomparable. Depuis lors, Alex n’aura de cesse de retourner en Provence pour retrouver à chaques vacances scolaires la plus haute montagne intérieure de France (aujourd’hui classé par l’UNESCO comme réserve de la biosphère). Accompagné de son épouse Jeanine et de sa fille Els, dormant le soir sous la tente et pédalant la journée sur les routes qui le sillonnent, Alex finira par tout connaître de ce pays, de Murs à Buis les Baronnies, de Caron à Montbrun les Bains, de Sault à Malaucène, de Bédoin à Mollans. A Mollans précisément où en 1993 la famille Trésignie jette son dévolue sur une belle maison qu’elle acquiert et qui est située (comme par hasard…) dans le lotissement résidentiel du « Pas du Ventoux » et qui offre (le contraire eut été étonnant) une vue imprenable sur la grande montagne. Entre-temps, Alex aura accompli plus de 20 ascensions du col des tempêtes (le bien nommé !).

        Depuis, à chaque fois qu’il arrive dans sa maison de Mollans, Alex a pris l’habitude de mettre une pierre signée et datée dans un panier qu’il conserve en bonne place dans son salon et qu’il montre fièrement aux visiteurs. La 27 ème pierre, celle qu’il a déposée le dimanche 26 juillet dernier était de taille plus importante que les autres… Elle indique en effet que pour la première fois, Alex a fait le trajet en vélo… Bruxelles-Mollans en six jours à presque 50 ans… A l’écart des nationales et voies rapides, n’empruntant que de petites routes, faisant escale à Charleville, St Dizier, Avallon, Roanne, Chanas, Alex a parcouru (en compagnie d’un jeune étudiant de 18 ans, Geert Degreef) les quelques 1200 kms qui sépare la capitale belge du « Pas du Ventoux ». Chemin faisant, les deux cyclistes flamands (qui n’auront eu besoin, on s’en doute, d’aucune potion magique) auront escalader au 5 ème jour les 1370 m du Crêt de l’Oeillon dans la région du Pilât et le sixième jour ils auront rencontrer la caravane du « Tour » au Puy St Martin…

        Mais le goût pour cette région qui habite Alex et sa famille ne se limite pas au simple aspect sportif ou touristique des séjours de plus en plus fréquents qu’ils accomplissent à la lisière de la Drôme et du Vaucluse. Alex est également poète à ses heures et il s’est trouvé rapidement séduit par la spiritualité qui émane du Ventoux : « De cette montagne il se dégage une atmosphère qui a indiscutablement influencé l'environnement culturel de la région. Ici, chaque village est un musée ! Mais pas un musée figé, un musée qui évolue dans le temps, dans le présent… ». Cette fascination pour cette partie de la Provence, Alex la traduite en rédigeant et publiant (en 1996 à compte d’auteur) un charmant recueil de poésie intitulé « Suite Provençale ». On y retrace au travers d’un florilège de poèmes en flamand et français une journée à l’ombre du Ventoux. Une journée du matin au soir avec ses différentes étapes, parmi lesquels l’apéritif et la sieste prennent une assez large place…

        Sportif accompli, mais également poète inspiré, notre professeur de mathématique bruxellois aime à se souvenir que c’est un autre poète, François Pétrarque, qui au XIV ème siècle, donna le premier récit connu de l’ascension d’une haute montagne. Depuis lors « Le géant de Provence » aura suscité un véritable culte et il n’est pas indifférent de savoir qu’à l’orée du nouveau millénaire, les sportifs, naturalistes ou poètes à l’image d’Alex y viennent toujours en pèlerinage.

         Alain BOSMANS