SUR LA PISTE DU CASTOR
 
« Le Dauphiné Libéré » du 13/02/97
 
 

Le plus gros des rongeurs a toujours séjourné le long des cours d'eau de la vallée du Rhône. Entre l'Ouvèze et le Toulourenc, les nombreux canaux d'irrigation offrent une zone propice à l'accroissement de cette espèce protégée. Ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes aux riverains...
 

    C'est dans le cadre du Centre de Formation Professionnel Forestière (C.F.P.F.) de Château Neuf du Rhône qu'une étude est actuellement menée par Frédéric Chandezon portant sur la restauration et l'aménagement des rivières et plus précisément des canaux d'irrigation de la commune de Mollans sur Ouvèze. La présence de plus en plus nombreuse du plus gros des rongeurs, le Castor, est au cœur de cette étude et de ce qui pourrait bien devenir une polémique entre riverains mécontents et protecteurs de la nature. Nous avons rencontré Lionel Jacob, naturaliste, et spécialiste de la faune des berges qui était venu de Vivier sur Rhône pour analyser avec Frédéric Chandezon l'importance de l'implantation de l’espèce et tenter d'apporter des remèdes aux nuisances constatées le long des berges de l'Ouvèze et du Toulourenc par cet animal d'apparence si sympathique.

Un hôte traditionnel de nos cours d'eau.

    On estime actuellement le nombre de terriers abritant des familles de castors entre 15 et 20 sur toute la zone, soit moins de 100 individus. Le renouvellement de l'espèce est très lent; le castor est un mammifère qui vit en famille monogame ne produisant, dans le meilleur des cas, que 2 petits par an. Il n’empêche que lorsque l'on sait que chacun de ces rongeurs, pouvant mesurer plus d'un mètre de long et peser jusqu'à 35 kg, absorbent 2 kg de bois par jour on comprend que certains propriétaires d'arbres fruitiers riverains se fassent quelques soucis...
La présence du castor le long de nos rivières en Europe est immémoriale. Songeons que tous les noms toponymiques Français en "Bièvre" ou "Beuveron" témoigne de la présence de castors à une période Celtique... Après avoir subsisté pendant des siècles, il fut dans le courant du 19 éme presque entièrement exterminé de France du fait de la valeur de sa fourrure et de la délicatesse de sa viande. Déclaré "Espèce protégée" depuis 1909 il prospère aujourd'hui paisiblement dans la plupart des régions de France où on l'a réimplanté non sans difficultés parfois.

Un rongeur infatigable.

    Le castor est un animal crépusculaire et nocturne. Les pécheurs l'aperçoivent le plus souvent au lever et coucher du soleil, nageant au fil de l'eau où ils se trouvent particulièrement à l'aise et dont il ne s'éloigne jamais de plus d'une cinquantaine de mètres pour s'alimenter et récolter les éléments de ses pharaoniques constructions. Une de ses activités principales à laquelle il consacre une énergie rare consiste à construire un terrier/hutte dans laquelle il abritera sa famille. Ce terrier est toujours creusé en bordure d'eau avec un accès horizontal nécessairement sous-marin. C'est précisément pour maintenir cet accès constamment sous l'eau, quelque soit le débit de la rivière, que le castor construira un barrage en aval, constitué d'un amoncellement de branches recouvert de terre. Un barrage de castor peut mesurer jusqu'à 10 mètres de long, 3 de large et 1,50 de haut , ce qui, en faisant sensiblement remonter le niveau de l'eau, contribue à la détérioration des canaux d'irrigation. Enfin le castor se nourrit essentiellement d'écorce et du bois des branches tendres des arbres de la "Ripisylves". (végétation et zone boisée de peupliers, aulnes et saules qui bordent les rivières et canaux). Hélas, lorsque celle-ci est insuffisante du fait de l'aménagement des berges, des travaux d'enrochements ou de la proximité de vergers, le castor s'attaque alors aux arbres fruitiers, en particulier pommiers et pruniers, dont il est friand.

"Le camping des Castors"

    Or c'est précisément ce qui se passe depuis quelques temps dans la vallée de l'Ouvèze où les plaintes de riverains des canaux d'irrigation se sont multipliés. On se souvient que voilà une dizaine d'années déjà M Auraignier de Pierrelongue s'était vu contraint par les castors de transformer sa plantation de pommiers, située entre la route et la rivière, en terrain de camping. Le camping s'étant avéré infiniment plus rentable que l'exploitation des pommes il le nomma, non sans humour, "le camping des castors"... Malheureusement tous les vergers qui doivent partager leurs rives avec des castors ne sont pas aussi aisément reconvertibles. Didier Roux, président de l'A.S.A. (association syndicale autorisée des irriguants de Mollans) estime qu'actuellement une dizaine d'hectares de pruniers doivent se protéger de la présence des castors. Par ailleurs 3 des 6 canaux d'irrigation de la zone voient régulièrement leur débit considérablement réduit à cause des barrages de castors qui font déborder le canal principal.

Observer et contrôler pour éviter les nuisances

    Les plaintes déposées auprès de la D.D.A. sont restées vaines. La pose de grillage autour des vergers est efficace mais s'avère coûteuse et pas toujours aisée pour ceux dont les accès sont difficiles. Les destructions à la main ou au tracto-pelle de ces ouvrages d'art que sont les barrages de castors sont, elles aussi, coûteuses et frustrantes. L'espèce étant protégée, tous recours à d'autres moyens plus expéditifs seraient sévèrement poursuivis.
La solution consisterais sans doute dans le déplacement de ces familles vers des lieux plus propices, plutôt sur les rivières que sur les canaux, là où la "Ripisylves" est encore riche et intacte. C'est probablement par une observation, un contrôle et une surveillance plus précise des castors que l'on parviendra à éviter leurs regrettable nuisances. Nous serions en effet impardonnable de ne pouvoir nous accommoder de la présence parmi nous de cet animal à la réputation si flatteuse pour nous les hommes...
 

      Alain BOSMANS