Toni Del Rosso ou le rêve du Centaure
 
(article du Dauphiné Libéré du xx juillet 1998)
 
 
 
C’est dans la partie la plus sauvage et isolée des Baronnies que depuis 28 ans Toni Del Rosso poursuit une quête mythologique : Renouer les liens de connivence qui unissent l’homme, le cheval et la nature.
 

    Si vous chercher un club peu exigeant où louer un cheval pour faire une promenade avec des copains sans y connaître grand chose à l’équitation, alors « le relais équestre du Villard » (1) n’est pas fait pour vous. Du reste vous n’avez aucune chance d’y parvenir par hasard. Pour y aller, il faut le vouloir. Perché à 650 mètres d’altitude au bout d’un chemin de terre, à égale distance exactement de Nyons et de Buis les Baronnies, isolé de toute habitation à moins de 3 kilomètres, entre Rochebrune et Montaulieu, la visite au repaire de Toni et Roberte Del Rosso se mérite. C’est là, au cœur des Baronnies, dans un décor sauvage typique des moyennes montagnes de la Drôme provençale, sur une propriété de 120 hectares de bois et de landes recouvertes de buis, de genets, genévriers et lavandes, de pins sylvestres et chênes blancs, que ces deux là ont décidé voilà presque 30 ans déjà de s’installer pour y vivre leur passion. La passion du cheval. Une aventure peu banale que celle qui voit la concrétisation d’un rêve.

    Tony n’a que deux ans lorsque ses parents italiens, originaires des Abruzzes, s’installent au sortir de la guerre dans la région de Saint Etienne. Sagement il poursuit avec succès des études d’architecte. La voie semble toute tracée : « Tu seras architecte mon fils… ! » C’était compter sans un virus (l’amour des chevaux) qu’il contracte très jeune en pratiquant l’équitation. C’était aussi sans compter avec l’air du temps. Celui où les murs parlent de prendre ses désirs pour des réalités… Les pavés étaient sous la plage et le vieux monde était derrière, il suffisait de courir… ! Toni Del Rosso a 20 ans et il court ! Il ne sera jamais architecte ! Ou plus exactement il ne sera l’architecte que de son destin, ce qui est finalement plus rare !

    Il découvre la région en 67 à l’occasion de randonnées équestres qui occupent alors toutes ses vacances universitaires. Trois ans plus tard, la décision est prise : Avec Roberte, la compagne de sa vie, ils iront s’installer au lieu dit du « Villard » sur la commune de Rochebrune. Le climat, l’isolement, la beauté rugueuse des lieux constituent à leurs yeux les conditions idéales pour bâtir une entreprise qui sera entièrement dévouée à leur amour immodéré pour la plus noble conquête de l’homme. Le seul problème c’est qu’il n'y a rien au Villard à cette époque. Il faut donc tout construire et découvrir que l’argent ne pousse habituellement pas sous le sabot d’un cheval… ! Toni et Roberte devront donc tout bâtir eux-mêmes, seuls et de leurs mains. Cela prendra 20 ans, et cela n’est pas fini. Cela ne le sera d’ailleurs jamais, Roberte avoue que l’entretient d’un tel domaine est une tâche de Sysiphe. Aujourd’hui, une vaste demeure, qui leur sert également de logis (et dans lequel ils élèveront leurs quatre enfants), permet d’accueillir confortablement 25 stagiaires en pension complète. Une écurie et 15 boxes individuels hébergent en permanence les 30 chevaux du centre. Un grand manège couvert, une carrière extérieur, une piscine et les 120 hectares de terrains entièrement clôturés (qui permettent aux chevaux de gambader en liberté toute l’année) complètent l’équipement d’un des centres équestres les plus réputés de France.

    Car dans ce monde de l’équitation de pleine nature en France, Toni est une personnalité incontournable. Pas facile pourtant de le lui faire dire, tant la simplicité et la modestie du bonhomme l’incite à cacher volontiers, derrière des yeux tout délavés, une barbe grisonnante et un sourire malicieux, un palmarès de professionnel du cheval hors pair. Pas facile de lui faire dire la liste des trophées remportés pendant 10 ans en équipe de France de T.R.E.C. (Technique de Randonnée Equestre de Compétition) dont il fut 3 fois champion d’Europe. Ni le rôle qu’il joue toujours au sein de la commission « formation » de la Fédération Française d'Equitation, ou bien encore la présidence du comité départemental du tourisme équestre de la Drôme dont il assuma la charge longtemps avant de devenir secrétaire Général de l'association « La Drôme à cheval » (1). Et c’est encore par hasard que l’on découvre que cet élève du maître écuyer portugais Olivera (l’un des plus grands cavalier du 20 ème siécle) est lui même le coauteur d’un livre de « Formation des accompagnateurs en tourisme équestre », véritable bible de référence en la matière qui fut traduit en plusieurs langues.

    Quant à la réputation du centre équestre du Villard en matière de formation et de dressage, elle n’est plus à faire et la liste de réservation des stagiaires est pleine toute l’année et longtemps à l’avance. Paradoxalement, l’isolement et les difficultés d’accès, qui représentaient hier un handicap au développement est aujourd’hui un facteur de succès. « De plus en plus, les gens qui s'intéressent aux chevaux, recherchent également le contact avec la nature. » Confie Toni. « Or ici, depuis le début, nous avons souhaité remettre le cheval dans son milieu naturel, en liberté, en harmonie avec l'environnement. La relation entre le cavalier et le cheval n’est plus basée sur la force ou la contrainte, mais relève désormais de la complicité. L'équitation que nous pratiquons ici autorise le cheval comme le cavalier à partager le plaisir de faire corps avec la nature.»

    Pas de doute que cette philosophie du sport équestre qui rencontre aujourd’hui un tel engouement en Europe, faisait de Toni voilà 30 ans, lorsqu’il a débuté dans les Baronnies, un véritable précurseur. Pas étonnant non plus que cette école du cheval soit désormais connue bien au-delà des frontières du département.

    Les activités proposées sont distinctes selon qu’il s’agit d’adultes ou d’enfants. Pour les enfants pendant la période de vacances scolaires, le centre du Villard accueille des stagiaires, en individuels ou en groupe pendant une semaine minimum. En dehors des vacances, les agréments obtenus du ministère de l’Education Nationale et de la Jeunesse et des Sports permettent d’accueillir des classes entières en séjours de découverte et classes vertes. Pour les adultes, Toni assure la formation aux métiers du cheval (accompagnateur, guide et moniteur équestre) de jeunes en stages de longues durées, tandis que d’autres viennent pour des séjours de dressage avec possibilité d’apporter son cheval personnel. L’objectif pour tous reste le même : Dresser le cheval confié et former le cavalier stagiaire de façon à leur permettre, à l’un comme à l’autre, d’aller à tout moment à l’extérieur, au contact de la nature, l’un avec l’autre, sans crainte ni risque, pour le simple plaisir d’une harmonie partagée.

    Le rêve du Centaure ! Une tentation millénaire que caresse quotidiennement Toni Del Rosso, architecte français, fils d’immigré italien devenu aristocrate de l’équitation au pays de l’olive, de la lavande et du tilleul.

         Alain BOSMANS

(1) : "Relais équestre du Villard" - 26110 Rochebrune - tel/fax : 04/78/27/30/38

(2) : « La Drôme à cheval », avec ses 51 relais et ses 2500 kms de sentiers équestres balisés, fait de la Drôme le premier département français en matière d’équipement de tourisme équestre. (Renseignements : 26 330 – Ratières – tel 04/75/45/78/79)