"BIO" de père en fils
 

(article du Dauphiné Libéré du 11 avril 1999)
 

  
Régis et Jean Estève
 
        L’engouement croissant des consommateurs pour les produits agricoles « Bio » génèrent de plus en plus des circuits de production et de distribution contrastés.     Dans les Baronnies, une famille s’applique à garantir l’authenticité de sa démarche en couvrant en totalité la filière Bio. Du verger au supermarché. De père en fils.

        Longtemps marginalisée, l’agriculture biologique connaît actuellement une croissance importante avec un dynamisme différent selon les productions et les régions. Les enquêtes d’opinion sont formelles : Trois Français sur quatre sont prêts à acheter 10% plus cher des produits meilleurs pour la santé et respectant l’environnement. En Rhône-Alpes et en 97 on recensait 500 producteurs et 7000 hectares cultivés en bio, tandis que la Drôme est aujourd’hui le premier département français pour le nombre d’agro-biologistes. Des chiffres qui sont en constante augmentation tant il est vrai que ce mode de production agricole soucieux du bon équilibre entre le sol et les aliments qu’il produit s’adapte aisément à l’environnement de nos régions.

        Dans les Baronnies, singulièrement, la nature montagneuse du relief, la taille modeste des exploitations, la nécessité de la diversification des productions et la présence traditionnelle de producteurs éthiquement respectueux d’un environnement écologique, sont à l’origine d’un essor spectaculaire non seulement de la production bio, mais également d’entreprises qui contribuent à l’organisation de cette filière. C’est au hameau de Sias, commune de La Roche sur le Buis, sur les hauteurs qui domine la vallée du Menon à quelques 680 mètres d’altitude sur la route qui monte du Buis vers Le Poët en Percip que l’on peut rencontrer une famille qui s’y consacre de père en fils.

        Parcours étrangement atypique pourtant que celui du père, Jean Estève. Natif du Poët, d’une famille d’agriculteurs implantée depuis toujours dans la région, Jean quitte très jeune le village natal des Baronnies. Il n’y reviendra que 20 ans plus tard, après avoir accompli une belle carrière dans l’industrie, pour changer à nouveau de cap et décider à 40 ans de venir vivre à la campagne sur la terre et du métier de ses ancêtres. En 83 donc, il achète une petite propriété aux Sias et se lance dans la culture « Bio » (ce qui n’était pas très courant à l’époque) d’abricots, d’olives et de plantes aromatiques à destination de laboratoires d’huiles essentielles (thym, isope, camomille, romarin, marjolaine) ou de l’herboristerie (tilleul, serpolet et thym). « J'avais le sentiment que l'utilisation massive de désherbant et autres produits chimiques ou transgéniques aboutissaient non seulement à produire des aliments pollués voire dangereux, mais également à abîmer un environnement fragile et précieux ».

        Les débuts sont pourtant difficiles. La propriété est petite et les terres en friches. Tout est à faire, à refaire, à construire, à reconstruire. Jean Estève avoue qu’il s’en est sorti grâce à la solidarité des agriculteurs voisins qui auront constamment encourager le retour à la terre de l’un des leurs. Car contrairement à une idée généralement répandue l’agriculteur bio, en s’interdisant l’emploi de produits chimiques de synthèse, tant en engrais qu’en traitement, ne se simplifie pas la vie… Si la nature des tâches à accomplir est sensiblement identique, la production est, elle, notablement plus aléatoire et nécessite au moins la même quantité de travail pour un tonnage inférieur. D’autant qu’en ce qui concerne la distribution des produits bios, rien n’est en place. Comment, en effet, commercialiser des produits sans être tributaire d’intermédiaires moralement peu motivés pour l’écologie et dont le comportement (et les intérêts) vont souvent à l’encontre de ceux du producteur… ?

        Jean Estève s’est longtemps posé la question et c’est son fils Régis qui lui en fourni aujourd’hui la réponse. Voilà un an maintenant que ce dernier est revenu lui aussi s’installer dans la région pour y créer au Poët en Percip la « S.AR.L. PERCIPIA » : Une entreprise d’achat, de revente et de commercialisation de produits bios transformés. « Après avoir engrangé quelques expériences en travaillant pour la grande distribution, je me suis dit qu’il fallait casser la logique qui veut que la forte croissance du secteur Bio bénéficie aujourd’hui surtout à des gens peu scrupuleux de l'environnement et de la vie rurale tandis que trop de petits producteurs très imprégnés d’une éthique Bio forte ne trouve que difficilement à commercialiser leur production ». C’est Régis Estève qui parle et grâce à son initiative, la petite entreprise qu’il dirige au Poët offre aujourd’hui aux producteurs/transformateurs « Bio » de la région, des débouchés commerciaux sur le marché des grandes surfaces (Intermarché, Leclerc, etc…). Chacun y trouve son compte : Les agriculteurs de la région dont la dimension humaine des exploitations et le mode de vie et de production authentiquement biologique garantissent la qualité des produits (épicerie, confitures, biscuits, pâtés, épeautre, fruits séchés, etc…), tout comme les supermarchés et leurs consommateurs qui y trouvent désormais ainsi une gamme de produits plus large.

        « Bien sûr, le « Bio » est avant tout une façon de travailler la terre et tous les agriculteurs « Bio » appliquent des méthodes de travail spécifiques afin de respecter les divers cahiers des charges », souligne Jean Estève en surveillant la pousse des bourgeons d’abricots dans un verger en pente raide qui fait face au Géant de Provence, « Bien sûr ! Mais l'agriculture Biologique c'est avant tout un état d'esprit, une morale. Et il me semble essentiel que la totalité de la filière de production comme de commercialisation en soit imprégnée afin d’obtenir du consommateur une reconnaissance de l'authenticité d'un produit qui justifiera son prix ».

        Une conviction qu’il a su faire partager à son fils. A eux deux, Jean et Régis Estève couvrent en effet, à leur modeste échelle, une bonne partie de la filière Bio. De père en fils, du verger au supermarché, ils y croient dur comme fer ! La tête sur le Bio !

       Alain BOSMANS