Les "Saquettes" sont de retour
 

(Article du Dauphiné Libéré du 6 juin 1999)
 

  
En grande tenue, les « Chevaliers » de la Confrérie du Tilleul des Baronnies ont présidé à des cérémonies hautes en couleurs.

Tandis que la cueillette a déjà commencé précocement en plusieurs endroits, le « Ban du Tilleul » de Bénivay a hier officiellement ouvert la récolte du tilleul dans les Baronnies.
 

        On récolte le tilleul dans les Baronnies depuis prés de deux siècles et cette production agricole est sujette à un folklore local qui se perpétue immuablement et qui aurait même tendance à se renforcer avec le développement des activités agro-touristiques. Le « Ban du Tilleul », qui se déroule chaque année pendant la première quinzaine de juin dans le petit village de Bénivay-sur-Ollon, en est la première manifestation de l’année. Il s’agit pour les instances professionnelles de constater la maturité du tilleul et de donner un avis favorable à l’ouverture des « Saquettes » dans la région.

        Les « Saquettes », ce sont ces gros sacs de toile de jute blanc dans lesquelles les cueilleurs de tilleul entassent leur récolte et dont le col est maintenu ouvert par un cerceau métallique. On les suspend aux barreaux des l’échelles, aux branches de l’arbre ou tout simplement à son cou, pendant que délicatement les « bractées » de tilleul (la fleur et sa languette) y sont déposées. Depuis des lustres donc, le premier samedi du mois de juin, le maire de Bénivay, Jean Claude Blanchard, reçoit ainsi les dignitaires de la Confrérie des Chevaliers du Tilleul des Baronnies, les instances professionnelles et personnalités régionales ainsi que de nombreux producteurs et cueilleurs de tilleul pour de cérémonies hautes en couleurs. Si cette manifestation se déroule là, c’est que ce village donne son nom à l’espèce de tilleul la plus réputée, le « Bénivay », dont la bractée très odorante a une couleur ambrée caractéristique qui peut atteindre 20 centimètres et porter cinq à six fleurs. L’appellation « Tilleul de Carpentras » sous laquelle est souvent encore désigné le tilleul des Baronnies n’ayant pour origine que l’expédition autrefois de cette production par la gare de Carpentras.

        Hier samedi à 10h30, la messe du tilleul fut célébrée dans l’église de Bénivay et le curé Arnaud, qui présidait pour la première fois ces cérémonies en remplacement du père Petit qui en avait longtemps perpétuée la tradition, put ainsi bénir le tilleul nouveau. Puis le grand maître de la confrérie, Laurent Haro, entouré de plusieurs « Chevaliers » en grande tenue (cape verte clair et foncé surplombé du chapeau de feutre noir des bergers provençaux), déclara « l’ouverture des saquettes sur l’ensemble de l’aire de production des Baronnies ».

        En fait, la floraison du tilleul dans les Baronnies, dont les dates varient sensiblement selon l’altitude de fin mai à début juillet, est cette année nettement en avance. La récolte a même commencé dans certaines communes situées au creux des vallées depuis une semaine. Ailleurs, on s’apprête à s’y mettre sans tarder, surtout si la vague de chaleur récente devait perdurer. En effet lorsque la « bractée » arrive à maturité, il faut la cueillir rapidement au risque de la voir se faner et « bouler ». Cueillette et taille des arbres s’effectuent en même temps. Les cueilleurs perchés en haut des échelles pointues en profitent pour couper également les rameaux centraux de l’arbre afin d’ouvrir celui-ci à la lumière. Une partie de la récolte s’effectue donc ainsi au sol, généralement par les femmes et les enfants.

        Les routes des Baronnies ont donc retrouvé la superbe parure de cet arbre parfumé à la silhouette de boule verte et aux fleurs dorés qui annoncent l’été. Pendant un mois les échelles y seront adossées, les « saquettes » accrochées à ses branches, les « bourras » étalées à ses pieds. La récolte devrait se poursuivre pendant tout le mois de juin et culminer avec la 190ème édition de la Foire du Tilleul qui se tiendra à Buis les Baronnies le 7 juillet. Pour l’occasion la capitale mondiale du tilleul, celle que l’on a même surnommée la « Wall-Street de l’infusion », organisera pendant une semaine du 6 au 9 juillet « le premier salon du livre de plantes ». Une manifestation qui sera unique en France et dont nous aurons l’occasion de reparler.

         Alain Bosmans