Le "cochonglier" en procés
 
 
(Article du Dauphiné Libéré du 7 décembre 1999)
 
  
Banderoles et slogans, le procès du « cochonglier » s’est tenu devant la mairie de Nyons dont la salle du conseil était remplie de militants
 
Comparaissant hier devant le tribunal d’instance de Nyons pour délit de chasse, sans permis, de nuit et en dehors des périodes autorisées, un couple d’éleveurs d’Aubres qui prétend n’avoir fait que défendre son bien contre les dégâts de sangliers, mobilisent autour de leur défense tous ceux qui, dans tout le sud est de la France, sont exaspérés par la prolifération de ce gibier d’un nouveau type : Le Cochonglier.

        La salle du conseil de la mairie de Nyons était pleine de façon tout à fait inaccoutumée hier à 15 heures lorsque le président Lemoine y ouvrit la séance du tribunal d’instance de la sous-préfecture. L’essentiel de l’assistance était constitué d’agriculteurs et de militants d’organisations agricoles (certains venus des départements limitrophes) venus soutenir Sylvain et Marie Hélène Souriau qui y comparaissaient. Ce jeune couple d’agriculteurs éleveurs de chèvres et arboriculteurs à Aubres, à coté de Nyons, avait en effet (à la suite d’une dénonciation) été contrôlé par des gardes de l’O.N.F. le 2 mai 1999 à 23 heures sur un chemin vicinal en bordure de leur champ de luzerne. Ils étaient alors en possession, dans leur véhicule, d’un fusil et d’un projecteur. Et il était facile d’imaginer l’usage qu’ils souhaitaient en faire lorsque l’on sait les dégâts qu’avaient commis sur leur exploitation agricole depuis plusieurs années les gros gibiers, sangliers et chevreuils.

        Les Souriau (comme beaucoup d’autres agriculteurs victimes du gros gibier dans la région) soutiennent en effet que la prolifération des sangliers, aggravée par l’arrivée depuis une quinzaine d’année d’une nouvelle race hybride couramment appelée « Cochonglier », provoque désormais de tels cataclysmes dans leurs prairies, vergers et cultures fourragères qu’il ne s’agit désormais plus que de se défendre contre une agression caractérisée de ses propriétés et de son travail. Une sorte d’autodéfense devant l’incapacité des pouvoirs publics à résoudre ce problème.

        Pour les soutenir, une cinquantaine d’agriculteurs et de militants d’organisations agricoles avaient déployé des banderoles pour demander que désormais les grands moyens soient utilisés par les autorités préfectorales des différents départements concernés pour mettre fin à une situation devenue intolérable dans toute la Haute Provence. Claude Mabille et les militants de l’association « Stop Ravage » était venu de Thoard prés de Digne (04). Yves Feydy, président de l’ADEP (association de défense des exploitants contre les dégâts de gros gibiers) venait de Montségur (26) et Jean Marie Bonnet représentait la Confédération Paysanne des Hautes Alpes.

        Et tandis que dedans on jugeait les Souriau pour délit de chasse sans permis de nuit et en dehors des périodes autorisées, dehors c’était le « Cochonglier » qui était en procés.

        Dedans l’avocate du couple, maître Isabelle Picard-Leroy demandait la relaxe pure et simple des prévenus en vertu de l’article 227-9 du code rural qui « autorise les particuliers à repousser des bêtes fauves » en certaines circonstances. L’avocat devait arguer que ces circonstances étaient bien réunies pour les Souriau ce soir là et que le sanglier doit être désormais considéré comme une « bête fauve ». Compte tenu de sa complexité, le jugement a été remis en délibéré pour le 15 mai. Il ne fait cependant pas de doute que si l’argument est retenu et que la relaxe est prononcé le jugement sera d’une grande importance pour la jurisprudence en la matière.

        Au dehors, les militants plaidaient à charge contre le « Cochonglier » qui était accusé de tous les maux : « Ces drôles de gibier, artificiellement élevés, relâchés, nourris, soignés, entretenus pour le seul loisir d’une minorité de chasseurs, sont si dépendants de l’homme qu’ils viennent tranquillement, de jour comme de nuit commettre par troupeau entier des ravages considérables chez les agriculteurs, arboriculteurs, éleveurs et jardiniers de haute Provence ». Phénomène aggravant, ils se reproduisent, semble-t-il, cinq fois plus rapidement que les sangliers normaux.

        Dénonçant « l’inertie générale (chasseurs, collectivités locales, administrations et pouvoirs publics) qui confine à la complicité de destruction de bien d’autrui », les agriculteurs présents ont appelé à « la solidarité avec les Souriau qui ont été poussé malgré eux à la légitime défense ».

        Se défendant d’être des associations « anti-chasseurs » mais seulement des « anti-cochongliers », les manifestants ont surtout réclamé que les autorités préfectorales (en particulier dans le département de la Drôme) prennent enfin les mesures réellement efficaces qui ont déjà donné de bons résultats, on le sait par exemple dans les Alpes de Hautes Provence l’année dernière. Il s’agit en particulier de déclarer le sanglier animal nuisible en période de chasse. De donner des instructions fermes aux lieutenants de louveterie de devoir éliminer systématiquement les animaux hybrides et nuisibles en dehors de ces périodes de chasse. De donner enfin (si cela n’est pas suffisant) des autorisations (sous l’autorité de la DDA) pour constituer des équipes autonomes de destruction de nuit à chaque fois et partout où les ravages commis par ces animaux le rendront nécessaire.

        Le sort des Souriau, contre lesquels une double amende de 3000 francs (dont 2000 avec sursis) a été réclamée par le Procureur Général, sera connu le 15 mai.

         Alain Bosmans