A la recherche du mystérieux champignon noir

(Article du Dauphiné Libéré du 2 février 2001)

Partie intégrante du patrimoine agricole des Baronnies dont elle constituait l'une des richesses au siècle dernier, la trufficulture pourrait bien connaître un renouveau et symboliser demain un certain savoir-vivre territorial.

A la fin du siècle dernier, il était récolté annuellement en France prés de 2000 tonnes de truffes sur plus de 40 départements dont la moitié provenait des seuls départements de la Drôme, du Vaucluse et des Alpes de Hautes Provence. Aujourd'hui, dans le meilleur des cas, la production française se situe entre 40 et 50 tonnes par an essentiellement dans le Sud Ouest mais aussi et surtout dans le Sud Est de la France.

L'histoire de ce déclin commence avec la première guerre mondiale dont la saignée chez les agriculteurs provoque l'abandon de l'entretien des truffières au profit des cultures vivrières plus immédiatement rentables. Le passage, dans la seconde moitié du 20ème siècle, à une agriculture productiviste sur un modèle industriel devait accentuer le déclin de la production de truffes un peu partout en France et notamment de par chez nous. Le retour actuel à une conception de l'agriculture plus humaine et plus respectueuse à la fois du consommateur et de l'environnement pourrait bien inverser cette tendance et redonner de beaux jours à la culture mystérieuse du précieux champignon noir.

C'est tout au moins ce que l'on pense au Centre Régional de la Propriété Forestière Rhône-Alpes (C.R.P.F.) dont les techniciens organisent régulièrement dans la région des réunions d'information sur la trufficulture qui attirent beaucoup de monde. Pierre Tabouret, agent du C.R.P.F. dans le Diois et éminent spécialiste de la truffe noire française animait ainsi l'autre jour dans la mairie de Montauban sur Ouvèze (en compagnie de son compère Jean Christophe Chabalier de l'antenne de Buis les Baronnies) l'une de ces conférences. Une bonne cinquantaine d'agriculteurs et de curieux, en provenance aussi bien de la Drôme que des départements voisins du Vaucluse, et des Hautes Alpes y assistaient. C'est qu'en effet plus de 50% de la production de truffes en France provient toujours de ces trois départements. Et si l'on parle encore couramment de la " Truffe du Périgord " c'est pour mieux ignorer que c'est du sol des Baronnies qu'elle provient le plus souvent.


Pierre Tabouret et Jean Christophe Chabalier ont animé la conférence

La " Trufficulture " : Le terme pourrait faire penser que l'on peut ainsi faire pousser à volonté des truffes comme on le fait de vulgaires champignons de Paris. Ce serait oublier que ce produit mycologique au prix exorbitant et à la saveur incomparable a conservé tout son mystère et sa magie. Car si l'on sait en favoriser l'apparition au pied de certains arbres, on ignore toujours quelle en est la cause et la production de ce champignon reste fondamentalement aléatoire.


Scènes ordinaires de chasse aux champignons à Montauban sur Ouvèze

Ce que l'on sait donc c'est que la truffe noire (tuber melanosporum) est un champignon qui pousse durant l'hiver, dans le sol (10 à 15 cm de profondeur), au pied d'arbres dit " truffiers ", généralement des chênes pubescents ou blancs, mais aussi les noisetiers, chênes verts ou tilleuls peuvent faire l'affaire. La truffe aime les sols calcaires, à la fois bien ensoleillés et humidifiés aux bons moments, dans des zones méditerranéennes au climat tempéré. Point ! C'est à peu près tout ce que l'on sait !


dans les truffières de Robert et Gérard Coupon

A partir de là, le trufficulteur est celui qui plantera et aménagera des arbres truffiers en truffières, les entretiendra en luttant contre la sécheresse, les parasites et les mauvaises herbes, pour finalement, 15 ans après les premières plantations, espérer récolter les précieux champignons noirs à raison de 0 à 50 kg par hectare…


A 800m d'altitude, dans le décor somptueux de la vallée de la Haute Ouvèze, avec le massif de la Chamouse couvert de neige en toile de fond, Robert Coupon inspecte chaque semaine les 180 arbres de sa truffière en compagnie de son chien Cisko

Ce qui peut constituer un appoint de ressources non négligeable sur certaines exploitations agricoles déjà en polyculture. La truffe est en effet, et de loin, le produit agricole le plus cher. Son cours se situe, selon les années et les espèces, entre 2000 et 3500 F/kg pour les prix de gros et peut se négocier jusqu'à 10 000 francs le kilos au détail. La truffe fait l'objet de transactions entre particuliers ou sur des marchés spécialisés. Toujours sous le manteau et en liquide, son commerce qui fait encore partie du folklore régional, s'apparente à un marché noir toléré. Les principaux marchés sont ceux de Richerenches dans la Drôme, Carpentras et Valréas pour le Vaucluse et Aups pour le Var. (2)


Le marché de Richerenches est l'un des plus importants de France

La récolte en elle-même ne retire rien au caractère profondément magique et mystérieux qui entoure cette culture, au contraire ! Découvrir la présence souterraine d'une truffe et la sortir du sol sans l'endommager n'est en effet pas une mince affaire. Le plus souvent dans les Baronnies les truffes sont récoltées à l'aide d'un chien spécialement dressé à cette tache.


Robert Coupon et son chien Cisko

Mais il existe d'autres moyens, comme " la Marque " qui consiste à marquer l'endroit où, à l'automne, au pied des arbres truffiers, la terre se craquelle laissant envisager la présence d'une truffe… Ou encore la " Mouche " qui consiste à repérer l'envol de ces mouches qui aiment pondre leurs œufs au-dessus des truffes. Un détecteur électronique sensible à l'odeur de truffe, est paraît-il depuis plusieurs années à l'étude. Une technique qui n'est, semble-t-il à ce jour (faut-il s'en réjouir ?) pas tout à fait au point…


Cisko a flairé la truffe...

Pierre Tabouret et Jean Christophe Chabalier sont quant à eux convaincus que la trufficulture a désormais un bel avenir dans les Baronnies. Le climat, le sol, l'environnement en général y sont très favorables. Au plan du marché, celui-ci est extrêmement ouvert et l'avenir commercial de la truffe pourrait facilement absorber une multiplication par trois ou quatre du volume actuel de la production truffière française sans dégradation des prix. Enfin la culture de la truffe véhicule une image extrêmement positive pour toute la région.


Elle est petite...

La truffe c'est la magie d'une production propre et écologique alliée aux senteurs précieuses d'une bonne bouffe ancestrale. La truffe apparaît à la suite une récolte mystérieuse pour disparaître sur la table des meilleures tables, celles des plus fins traiteurs. A l'heure où l'on parle beaucoup de la construction d'un Parc Naturel Régional des Baronnies, la truffe dont la production se trouve au plein coeur de ce territoire, pourrait bien ici connaître une seconde jeunesse et devenir le symbole d'un certain savoir-vivre territorial.


mais précieuse...

(1) Le C.R.P.F. est en mesure de réaliser à la demande des agriculteurs des Baronnies des études et diagnostics de terrains et de faisabilité pour la réhabilitation d'anciennes ou la création de nouvelles truffières. C.R.P.F. - Boulevard Aristide Briand - 26170 - Buis les Baronnies - Tel/fax 04 75 28 04 21 - crpfbuis@free.fr


Cisco !

(2) Tous les ans la Maison de la Truffe et du Tricastin (MTT) de Saint Paul Trois Châteaux organise une gigantesque dégustation de truffes à base d'omelettes aux truffes, de salade aux truffes et de fromage aux truffes. La quinzième édition de cette succulente manifestation se tiendra le dimanche 11 février 2001 de 9h à 20h à la MTT de St Paul. On y attend 5000 visiteurs, 7000 oeufs et des kilos de truffes y seront cuisinés.

Texte et Photos d' Alain Bosmans
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