De la Normandie jusqu'aux Baronnies
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Cinquante ans d'itinérance (1945 - 1995)
«Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre»
Blaise PASCAL
Une enfance normande.
Je suis né le 19 juillet 1945 à Montivilliers, petite commune rurale proche du Havre en Seine Maritime. Second fils d'un père Albert (directeur de société, diplômé d'HEC) et d'une mère Noëlle (sans profession). Leurs familles respectives étaient d'origines et de compositions assez hétéroclites et plutôt cosmopolytes ...
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Du coté paternel, mon grand père Théodore Bosmans (que l'on n'appellait que "Théo") était belge et son épouse ma grand mère Germaine (devenue belge à son mariage avec Théo) était d'origine austro-hongroise (famille Nieder-Haffen). Né à Bruxelles vers 1880 (?), Théo s'était lancé très jeune dans une carrière de comédien professionnel de théâtre (puis de cinéma). Monté à Paris en quête de succès, il avait connu au début de ce siécle une cernaine notoriété en jouant les "jeunes premiers" dans la troupe parisienne de la célèbre comédienne "Réjane" (qui fut probablement sa maitresse). Il s'illustra notamment avec Réjane dans la fameuse pièce d'Edmond Rostand "l'Aiglon". Vers 1912, il rencontre à Paris ma grand-mère Germaine qui y vivait modestement avec sa mère. D'une quinzaine d'années plus jeune, Germaine sut convaincre Théo de quitter Réjane, le théâtre et la comédie. Ils se marièrent en 1913 et eurent en 1914 un enfant unique, mon père Albert. Etant belge, Théo échappa à la mobilisation de la grande gueurre et mes grands parents ouvirent en 1914 dans le 9e arrondissement de Paris (42 de la rue des Martyrs) une librairie qu'ils tinrent pendant plus de quarante ans.
- Mon père y grandit et y fit de brillantes études (HEC), entouré de livres et d'amis de ses parents, comédiens, enseignants, écrivains aux idées de gauche plutôt progessistes. C'est aussi dans cette librairie que, moi-même, rendant visite à mes grand parents parisiens pendant les vacances scolaires, je contractai le goût pour les livres, la littérature, le théâtre et la comédie. J'aimais et j'admirais ce grand-père plein d'humour, d'insouciance et de fantaisie qui nous quitta trop tôt lorsque j'avais 7 ans. Aprés sa disparition, ma grand-mêre Germaine, d'un caractère fort autoritaire, continua à vivre seule à Paris où j'allais occasionnellement la voir jusqu'à son décès vers 1980.
- Du coté maternel,
j'ai peu de souvenirs de mes grands parents : Raymond Frêne et Jeanne Delhomme. Tous deux étaient issus de la moyenne bourgeoisie normande, catholique et plutôt réactionnaire. Né en Normndie vers 1880 (?), Raymond Frêne s'engagea jeune dans l'armée où il fit toute sa carrière comme sous-officier, puis officier dans un régiment de cavalerie coloniale. Il participa notamment à la campagne coloniale du Maréchal Lyautey au Maroc en 1910-1912. Puis durant la grande guerre de 14-18, il s'illustra en recevant la Croix de Guerre et la Légion d'honneur. Il se maria vers 1910 avec Jeanne Delhomme, elle-même issue d'une famille d'industriels havrais (chantier naval Delhomme). Ils eurent deux filles : Ma tante Gillette née en 1912 et ma mère Noëlle née en 1919. Le commandant Raymond Frêne pris sa retraite militaire à Montivilliers et nous quitta peu d'années avant la guerre de 1939. Je ne l'ai par conséquent jamais connu. J'ai par contre un peu mieux connu ma grand-mère Jeanne, très affectueuse, qui décéda au Havre alors que j'avais 7 ans.
- Mes parents Albert et Noëlle se connurent avant la guerre 39-45 à Montivilliers où ma mère résidait chez ses parents
Raymond et Jeanne Frêne avec sa soeur Gilette. Sorti dans les premiers rangs de l'école d'HEC à Paris, mon père Albert fut recruté en 1938 (il avait 24 ans) pour succéder à Mr Mahuzier, directeur de la sucursale de la Maison Worms au Havre, une entreprise d'importation et de commerce international de combustibles (charbon et pétrole).
On raconte qu'une jeune troupe de théâtre s'était formé chez les Mahuzier à Montivilliers où se réunissait tous les week-end la fille Mahuzier, les soeurs Frêne et le jeune Bosmans. On y jouait des pièces de Courteline, de Guitry et des sketches qu'Albert Bosmans écrivait et mettait en scène tandis que Noëlle jouait les ingénues et les jeunes premières... Mon frère Philippe naquit à Montivilliers en janvier 43, moi en juillet 45. Entre temps, mobilisé en 39, mon père participa comme sous-officiers d'artillerie aux premiers combats dans l'Est de la France. Il y fut blessé d'un éclat d'obu à la tempe, miraculeusemnt soigné et ramené en arrière des lignes, il fut démobilisé à l'armistice. De retour à Montivilliers auprés de sa famille, il reprit ses activités professionnelles à la Maison Worms au Havre oû il se rendait chaque jour.
Un goût précoce pour les voyages.
- En 1950, j'avais 5 ans donc, mes parents quittérent Montivilliers pour s'installer au Havre pour louer un appartement de l'avenue Foche au coeur d'une ville en pleine reconstruction. J'y effectuai mes humanités : En primaire au collège publique François Premier, puis en secondaire à l'Institut catholique St Joseph. Mes parents passaient alors leurs vacances estivales à sillonner la France en voiture avec leurs 2 insupportables progénitures : La découverte du Massif Central, les Vosges, le Jura, l'Alsace, les Alpes, la Côte d'Azur, les Châteaux de la Loire, la Bretagne, 1'Italie furent autant de destinations qui ponctuèrent les étés de mon enfance.
- A 12 ans, je prends seul le Car-ferry au Havre pour me rendre à Londres où m'attend la famille d'un jeune écolier anglais avec lequel je vais, pendant un mois, essayer d'apprendre la langue... Premières découverte du voyage et de l'étranger ! La famille Barrow est bien là à m'attendre à la gare Victoria ... Ouf !
- L’année suivante je me rends seul en train à Dusseldorf pour passer un mois dans une famille allemande afin d'y apprendre cette seconde langue. Deja, loin de la tutelle paternelle, étranger à l'étranger, curieux de tout, j'éprouve déjà une puissante attirance pour le voyage, la découverte de l'inconnu, le goût de l’altérité, la soif du dépaysement... Cela ne me quittera plus.
- Adolescent au Havre, j'apprend à jouer de la guitare et vais passer des week-end à Londre où les chansons de Dylan, des Beatles et des Stones m'enthousiasment. Les livres de Kerouac me fascinent. Le jeune centralien Antoine chante ses « élucubrations » avec des cheveux longs et une belle désinvolture. Son départ sur la mer en voilier 15 ans plus tard ne me laissera pas indifférent…
- J'ai à peine 15 ans lorsque, pour me récompenser du succès au BEPC, mon père (qui a des relations professionnelles avec des armateurs havrais) me propose d’effectuer par mer un voyage initiatique au Maroc. J'embarque à Rouen en juillet 1960 sur un caboteur hollandais de 1200 tonneaux. Je suis le seul passager à bord, je mange avec les officiers et j'ai accès à la passerelle. Je traverse le Golfe de Gascogne sans être malade et débarque à Casablanca 8 jours plus tard. Pas peu fier … C'est le premier contact avec l'Afrique et c'est le coup de foudre. Pendant un mois, je serais l'hôte d'une famille franco-marocaine (amie de mes parents) avec qui je visiterai Casablanca, Meknes, Rabat, Marakech et Mogador (Essaouira), avant de ré-embarquer sur un autre caboteur qui, au retour, fera escale à Safi, Tanger, Lisbonne et Rouen. Le soleil, la mer, les ports, les médinas, les moquées, les souks et les femmes voilées … Tout est déjà là… Je suis mordu ! Le poète avait raison : « La vrai vie est ailleurs… ».
- En juillet 1963, le bac philo en poche, je me lance avec un ami havrais dans un voyage de "Beatnick" à travers la France, l’Italie et la Grèce. Nous partons en auto-stop et descendons sur la côte d'Azur, puis la Riviera italienne, passant par Canne, St Tropez, Florence, Rome, Naples et Ancone. Nous allons nu-pieds, les jeans délavés et le cœur en fête … Le soir, on dort dans les auberges où se rencontrent une jeunesse européenne qui rêvent de changer la vie en écoutant les Beatles et les Stones ... A Ancône, nous rejoignons un groupe d'étudiants (et d'étudiantes !) en lettres qui organisent un voyage de visites archéologiques en Grèce avec l’un de leur professeur. Ce sera durant 15 jours la découverte émerveillée du Péloponnèse, Athènes, Delphes, Délos et La Crête, … Un bien joli décor pour se déniaiser ! Je rentre seul en autostop à travers l'Italie et la Suisse…
- En septembre, c'est la rentrée universitaire à Rouen. Louant une chambre d'étudiant dans la vieille ville, rentrant tous les week-ends chez mes parents au Havre, j'entame trois années d'études en faculté de droit et de sciences économiques de l'Université de Mont-Saint-Aignan. La ville et la vie universitaire me semble alors bien grise. C'est d'ailleurs moins les matières étudiées (le droit public et l'économie) que les perspectives d'avenir qu'elles offrent, qui me déchantent le plus...
La passion pour le voyage ne me quitte plus !
- Durant l'été 1967, je me lance dans un nouveau "Road Trip"que j'effectue en solitaire à travers la Scandinavie et l’Europe de l’Est. Parti en avion jusqu’à Copenhague avec un sac à dos et une guitare, je traverse la Suède et la Finlande en auto-stop jusqu'au cercle polaire. Puis, aprés avoir travaillé un mois comme ouvrier agricole dans une ferme finlandaise près d'Oulu, je prend le bateau à Helsinky pour rejoindre Leningrad et rentrer en France à travers l’URSS, la Pologne et l’Allemagne de l’est en train, puis l'Allemagne de l'ouest en auto-stop.
- Je viens d'avoir 22 ans, j’ai échoué à l'examen d'entrée en troisième année de licence en droit et n’ai plus aucune chance d’obtenir ce diplôme sans me mettre sérieusement au travail. Pour qui ? Pourquoi ? Pour quelle vie ? Incapable de répondre à ces questions, j'ignore ce je veux faire de ma vie, mais commence à savoir ce que je ne veux pas qu'elle soit !
Un an de service militaire polynésien
- En septembre 1967, renonçant à la vie qu’on me destine, je décide d’abandonner mes études et résilie mon sursis militaire. Seconde classe dans l’armée de l’air, je fais mon C.I. sur une base aérienne prés de Colmar. Puis, volontaire pour partir en outre-mer, je suis affecté à la station météorologique militaire de l’aéroport de Papeete, capitale de l'ile de Tahiti en Polynésie française. Pendant un an j'y serai chargé quotidiennement d'enregistrer les cartes météo destinées à la campagne d'essais thermo-nucléaires de Mururoa et Hao.
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En marge de ces obligations militaires, je travaille (épisodiquement et au black) comme pigiste à la rédaction du journal quotidien local "Les Nouvelles de Tahiti". Pendant un an sous les tropiques je rève en lisant Pierre Loti, Jack London, Paul Gauguin, Alain Gerbault ou Bernard Moitessier. De quoi me consoler d'avoir raté mai 68 à Paris !
14 ans de salarié expatrié en Afrique noire
- De retour en France, je cherche aussitôt à repartir travailler, vivre et voyager dans le tiers-monde. Le groupe français SCAC spécialisé dans le transport maritime international, recrute pour ses agences d'Afrique noire des jeunes gens, parlant l’anglais, célibataire et volontaire pour l’outre-mer. Soutenu par mon père, je suis rapidement recruté et affecté en mai 1969 à l'agence de consignation maritime SOCOPAO du port de Pointe Noire en République du Congo Brazzaville. J'y effectuerai 3 séjours d'expatrié de 18 mois chacun, apprenant (sur le tas) le métier d'agent maritime (représentant d'armateurs).
- En mai 1973, je démissionne de la SCAC et me lance dans un long voyage solitaire de plusieurs mois. Partant de Pointe Noire (congo), utilisant les moyens de transport les plus variés (avion, train, car, auto-stop), je traverse et fais escale successivement au Congo (Kinshasa), au Kenya (Nairobi et Masaï-Marra), en Ethiopie (Addis-Abeba, Lalibela, Asmara et Massada), aux Indes (New Delhi, Khajurâho, Agra, Bénarès, Patna), au Népal (Katmandu), en Afghanistan (Kabul, Bamian, Banda Amir, Herat), en Iran (Meched, Téhéran, Tabriz) et en Turquie (Istanbul). Je rentre à Paris en octobre 1973 aprés un voyage fascinant qui me marquera profondément.
- A la recherche d'un nouvel emploi d’expatrié, mettant en avant mon expérience africaine et mon goût pour les voyages, je suis recruté en janvier 1974 par les services commerciaux du groupe français de restauration collective SODEXHO. Affecté à Port Gentil (Gabon) comme attaché commercial itinérant, je suis principalement chargé des relations avec des compagnies internationales de recherches pétrolières présentes en Afrique de l'ouest.
Muté à Paris aprés 18 mois en Afrique, je démissionne de la SODEXHO en décembre 1976.
- De nouveau à la recherche d'un emploi d’expatrié, je suis ré-embauché en mai 1977 par la SCAC Afrique qui m'affecte au Kenya à sa filiale locale de consignation maritime EACS de Mombasa. J'y occupe pendant 5 ans les fonctions de chef d'agence avant d'être muté à Abidjan ( Côte d'Ivoire) pendant encore deux ans à la direction du service de consignation maritime de la SOCOPAO. J'en démisionne en novembre 1983 pour traverser l'Atlantique sur le voilier "Cigale 2" que je viens d'acquérir à Abidjan.
- Durant ces 14 années passées en Afrique, j'ai été amené à effectuer plusieurs déplacements professionnels à travers le monde : Pour la SODEXHO en Rhodésie (Salisbury), au Congo (Pointe Noire) et en Afrique du Sud (Cape-Town). Pour la SCAC en Allemagne de l'Est (Rostock), en Uganda (Kampala), à l'Ile Maurice et à la Grande Comores (Moroni).
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Dans le même temps, j'ai consacré plusieurs de mes vacances annuelles d'expatrié à effectuer des voyages de découverte touristique à travers le monde. Notamment deux voyages d'un mois chacun au Moyen Orient (Egypte, Liban, Israël) et deux voyages d'un mois chacun en Asie du Sud-Est (Indes, Thaïlande, Laos et Birmanie).
Une passion pour la voile
En Afrique dans les différents ports où je réside (Pointe Noire, Port-Gentil, Monbasa, Libreville, Abidjan), je me prend de passion pour les sports de voile (planche à voile, dériveurs, voiliers) et m’initie progressivement à la navigation hauturière sur voilier de croisière. Bernard Moitessier devient mon mentor.
- En automne 1980 au Kenya, je suis équipier pendant 2 mois sur le voilier "Dinask" en croisière entre Mombasa et Aldabra (Seychelles), et entre Mombasa et Lamu (Tanzanie).
- En 1982 et 1983 à Abidjan tous les week-ends, je m’initie à la navigation sur le voilier "Cigale 2" avec ses propriétaires de retour d’un tour du monde.
- En mars 1983, j’effectue à Nice un stage d'une semaine à l'école de skipper de Florence Artaud.
- En juin 1982 j'achète à Abidjan, le voilier "Cigale 2". Un sloop de 11m de long (35 pieds), de modèle "KIRK" en polyester fabriqué aux chantiers Amel de La Rochelle. Voilier parfaitement équipé, à la suite d'un tour du monde réalisé par les anciens propriétaires Jeanne et Luc Rabione. (voir La Cigale 2 (1983 - 1994) et lire La Cigale 2 - mode d'emploi)
- En novembre 83, je démissionne de toutes activités professionnelles et entame au départ d’Abidjan une vie de navigation itinérante en solitaire sur mon voilier "Cigale 2".
Trois années de bourlingue.
En décembre 1983, avec son capitaine néophite et un jeune équipier recruté localement, le voilier "Cigale 2" traverse l’atlantique sud entre Abidjan et Salvador de Bahia au Brésil . Soit 32 jours de navigation, entrecoupée d'une escaled'une quinzaine de jour à l'ile de Saint Hélène.
Cette première grande traversée sera suivie de trois années (de 1984 à 1986) à vivre et à voyager sur mon voilier en solitaire et en itinérance, entre le Brésil et Haïti :
- Sept mois d'escale à Salvador de Bahia suivis d'un mois à l'ile de Fernando de Noronha (Brésil).
- Six mois à Cayenne en Guyane française avec une expédition de la remontée du fleuve Approuague et un séjour aux iles du Salut.
- Un an à l'ile de Grenade (petites Antilles) où je fais réguliérement des sorties à la voile de type "charters"à la journée pour clients et amis depuis Prickly Bay. Je suis également chargé par la coopération française à Grenade d'animer bénévolement l'Alliance Française de la capitale St Georges.
- Six mois d’escale technique à Fort de France (Martinique) pour carénage, pose d’un enrouleur de génois et d'un navigateur satellite.
- Organisation sur La Cigale depuis Grenade et Fort de France de plusieurs mini-croisières de type "charters" vers les iles voisines des petites Antilles : les Grenadines, la Dominique, la Martinique, Trinidad et Margarita (Venezuela).
- Deux voyages aller/retour en avion vers Paris pour passer quelques semaines auprés de parents et amis. Le premier depuis Cayenne (avec escale d'une semaine à New-York chez J.D Couffon de Trévos) et le second depuis Fort de France.
Une escale Haïtienne
- Alors que j'avais pour objectif de rejoindre Panama et son canal, je décide en février 1986 de faire une courte escale en Haïti, où le dictateur Jean-Claude Duvalier vient d'être renversé.
- Atterrissant au port de Jacmel après 8 jours de navigation solitaire depuis l'ile vénézuélienne de Margarita, il m’est proposé d'occuper, jusqu'à la fin de l'année scolaire, un poste rémunéré de professeur (de français, histoire et géographie) dans le collège secondaire franco-haïtien "Alcibiade de Pomeyrac". Après 4 mois de cette passionnante expérience pédagogique à Jacmel, séduit par le pays, sa culture et ses habitants, je décide de poursuivre avec La Cigale la découverte de la péninsule sud de l'ile.
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En août 1986, je fais escale à PESTEL, petit village de pêcheurs de la baie des Cayemites (2 500 habitants). J'y découvre les exceptionnelles qualités du plan d'eau, les remarquables traditions nautiques et l'hospitalité de ses habitants.
Tombant amoureux du village, je décide de prolonger mon séjour en Haïti et Pestel devient le port d'attache de La Cigale et de son capitaine.
- Les traversées régulières que j'entreprend désormais chaque mois vers la capitale Port-au-Prince et les séjours à la marina d'Ibo Beach me permettent de nouer de nombreux liens amicaux avec des membres influents de la communauté haïtienne et expatriée de la capitale. Ces relations seront d'un précieux soutien aux projets de développement que je ménerai pendant les 8 annnées suivantes à Pestel. . Je souhaite ici me souvenir de Jean Luc et Marjorie Matran (et leur famille), Bernard Sexe (responsable de la coopération française à l'ambassade), Bernard Lefebre (directeur de la Shelle haïti), ....
Huit années d'aventure à Pestel
De 1986 à 1994, avec le concours et le soutien de l'ensemble de la population et des élus locaux, je serai à l'initiative et à l'animation de plusieurs projets de développement du village (voir Pestel, village Haïtien (1986 - 1994) et
lire
le récit de voyage "La Flibuste" ) à savoir :
- Création et animation, avec le concours et le soutien de la Mission de Coopération Française de Port- au-Prince, d'un centre culturel villageois (CEPEC) qui proposera gratuitement pendant 8 ans à la population villageoise une bibliothèque avec prêt de livres, de journaux, la projection de films et des cours de français.
- Ouverture et animation, avec le soutien des autorités municipales locales, d'un hôtel, restaurant, bar, nommé d'abord "La Flibuste" puis "Le Jacquot Bleu". L'établissement était géré par les jeunes du village.
- Organisation, pour les visiteurs, amis et touristes de passage, de sorties à la journée et de mini-croisières sur La Cigale, à la découverte de la baie des Cayemites.
- Organisation, avec le soutien de plusieurs entreprises privées de la capitale Port au Prince, d'une "Fête de la Mer" à Pestel. La première édition s'est déroulé avec éclat le 19 mars 1987 en présence de nombreuses personnalités venues de la capitale. Parmis lesquelles le Général Namphi, président (éphémère) de la république d’Haïti.
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Les « Fêtes de la Mer », que j'ai continué à animer à Pestel chaque année jusqu'en 1993, connaitront succès et notoriété tant au niveau local que national. En mars 1989, contacté par mes soins lors d'un de mes séjours annuels à Paris, le magazine de la Télévision Française "Thalassa" enverra une équipe de tournage sur place pour réaliser un documentaire de 21 minutes qui sera diffusé le 16 juin 1989 sur FR3.
Huit années de cabotage à partir de Pestel
- En dehors de ma vie à Pestel pendant ces huit années, j'ai continué à naviguer avec La Cigale le long des côtes et autour de la presqu-ile.
Notamment pour me rendre régulièrement à Port au Prince et à la marina d'Ibo Beach de la capitale, transmportant passagers et équipement.
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A partir de Pestel ou d'Ibo-Beach, j'ai aussi organisé sur mon voilier plusieurs charters avec passagers payants. Notamment deux croisières en Jamaïque (escales à Port Antonio et Kingston) et deux voyages aux iles Turk and Caicos (Bahamas), dont l'un pour effectuer le carénage de La Cigale.
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En tant que skipper, j'ai également effectué le convoyage d'un voilier de 15 m depuis Pestel jusqu'à l'archipel des iles Samblas (Panama) et retour en avion.
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Enfin, pendant ces 8 annnées, je suis plusieurs fois rentré en avion en France pour des séjours de quelques semaines à Paris auprès de mes parents et amis.
Quand l’enfant parait
Le 15 avril 1990, un fils Arthur est né à Pestel de mes amours avec une jeune pestelloise. L'heureux événement se déroula durant la soirée de la quatrième "Fête de la Mer"... Pour héberger mon fils et ma nouvelle famille, je fis construire début 1991 au bord du lagon une petite maison de trois pièces pourvu d'une terrasse servant d'appontement à mon voilier. (voir photos souvenir d'Haïti (1986 - 1994) .
A Noël 1993, pour la première fois, Arthur a fait le voyage en avion vers Paris avec moi. Nous avons séjourné à Versailles chez les Gauger, à Pantin chez Christine et Michel, aux sports d'hiver à Megève avec Chantal, avant de retourner à Port au Prince avec escale à Miami.
Mars 1994 : La fin des voyages, le retour au pays !
Tout au long de ces huit années, l'histoire politique, économique et sociale d'Haïti fut très mouvementée (c'est un euphémisme). Aprés y être arrivé en mars 1986, mes espoirs de rétablissement de la démocratie après la chute de la dictature Duvalier firent long feu et les coups d'état militaires se succèdèrent pratiquement chaque année. Celui de 1991, qui renversa le prêtre Jean-Bertrand Aristide (élu démocratiquement en 1990), fut sanctionné par un embargo international provoquant le départ des missions de coopérations françaises et américaines. La situation devenant de plus en plus inquiétante et dangereuse, je quittais Haïti avec Arthur en mars 1994, huit ans presque jour pour jour après m'y être installé... Ni Arthur, ni moi n'y sommes depuis plus jamais retourné ! La Cigale doit toujours s'y trouvé ... Rentré en France avec Arthur qui n'avait pas encore 4 ans, le hasard et un heureux concours de circonstances nous amenèrent à nous installer au sud de la Drôme dans les Baronnies Provençales....
Depuis mon service militaire en Polynésie durant l'année 1968, jusqu'à mon retour en France en mars 1994, je n'aurai pratiquement jamais cessé de voyager et de vivre à l'étranger. Ayant été expatrié pendant 14 ans en Afrique (Congo, Gabon, Kenya et Côte d’Ivoire), puis ayant bourlingué pendant 11 ans sur un voilier entre l'Afrique de l'Ouest, l'Amérique du sud et les Caraïbes, j'ai en effet beaucoup, beaucoup voyagé…
J'ai connu des bazars, des marchés, des souks parmi les plus exotiques, les plus parfumés, les plus sordides. Je suis rentré dans les lieux de culte les plus sacrés : depuis l'université El Azhar du Caire jusqu’aux Stupas de Katmandou en passant par les Watts de Rangoon, le Taj Mahal d'Agra, les églises monolithes coptes de Lalibella en Ethiopie, le temple Jain de Calcutta et celui d’Eléphanta à Bombay, Notre Dame de Bonfim à Salvador de Bahia au Brésil, la mosquée bleue à Istanbul, le Mur des Lamentations à Jérusalem et les tours du World Trade Center à New York. J’ai connu les villes de St Pétersbourg et de Ndjamena quand elles s’appelaient encore Leningrad et Fort Lamy. J'ai visité les sites archéologiques les plus célèbres, depuis l'Acropole d’Athènes jusqu'aux vestiges de Persépolis en Iran, les temples de Pagan en Birmanie et ceux de Kadjurao aux Indes, les nécropoles de Louxor en Égypte et les ruines des temples de Baalbek au Liban, le grand Bouddha de Bamyian en Afghanistan, le Christ de Corcovado à Rio et le monastère Ste Catherine dans le Sinaï. J'ai été de Katmandou à Istanbul par la route et d'Afrique en Amérique à la voile. En Syrie, j'ai suivi le chemin de Damas en car et en Éthiopie je suis retourné aux sources du Nil bleu à dos d'âne. J'ai traversé l’Afghanistan en car pour découvrir à 3500m d'altitude les 5 lacs suspendus de Banda-Amir et je suis descendu en Land-rover dans le cratère de Ngoro-Ngoro en Tanzanie. J’ai traversé la forêt primaire de la grande Comores pour accéder à pied au cratère du Kartala alors en ébullition et j'ai fait du ski à la station des Cèdres au dessus de Beyrouth au Liban.
Plus tard, j’ai escaladé à pied pendant 3 jours les pentes du Mont Kenya pour y fouler, à plus de 5 000 m d’altitude sous l’équateur, les neiges éternelles et équatoriales de son sommet, avant de naviguer à la voile pendant 10 jours dans l’océan Indien, pour atteindre la réserve naturaliste de l’île Seychelloise d'Aldabra. J'ai me suis rendu en 1976 au Laos en touriste avant l’arrivée au pouvoir des Patets et en 78 à Moroni sur la grande Comores pour rencontrer Bob Denard et ses mercenaires qui venaient d’y débarquer. Je me suis baigné avec les tribus Mollo dans le lac Turkana en Somalie et avec les fidèles du Gange à Bénarès. J'ai été météorologue et journaliste à Tahiti, consignataire de navires au Congo, exploitant hôtelier au Gabon et en Afrique du Sud, directeur d'agence Shipping au Kenya, chef d’un service de consignation maritime en Côte d'Ivoire, professeur de français à Grenade… J'ai chassé l'hippopotame sur le Kouilou au Congo et j'ai traversé le mur de la honte à Berlin ? J'ai assisté (enfin pas loin) à l'explosion d'une bombe atomique à Mururoa et au lancement (enfin pas loin) d'une fusée Ariane à Kourou. Je me suis assis sur le banc de Dreyfus à l’île du Diable au large de la Guyane, j'ai visité la dernière demeure de l'empereur à Ste Hélène et j’ai dormi dans l'hôpital Schweitzer de Lambaréné au Gabon. Je me suis fait masser à Bangkok, j’ai fumé de l'opium à Luang-Brabang, j’ai dansé la samba à Salvador de Bahia, j’ai cherché de l'or dans une rivière guyanaise, et.... j’ai du en oublier !
Mais pourquoi donc cette passion du voyage ? Et tout d'abord qu'est-ce qui m'a ainsi poussé à faire dévier le cours normal de la vie que l'on me destinait...? Pour qui et pour quoi ai-je précocement décidé de sortir de cette ligne droite toute tracée, un parcours que mes parents, mon éducation, mes études et mes amis me destinaient...? Etait-ce un caprice d’enfant gâté, une réaction à une éducation étouffante et obtuse, un goût précoce et prononcé pour l’aventure, la quête d’un absolu romantique tôt alimenté par des lectures romanesques… ? Ou bien encore cette démarche exprimait-elle une incompatibilité profonde avec un mode de vie et une société dont je refusais les valeurs ? Et si tel était le cas qu’elles étaient les causes de cette incompatibilité, de ce refus ? Etaient-elles strictement personnelles, culturelles, psychologiques ? Ou bien n’y fallait-il pas plutôt en donner une signification sociale et politique : Etait-ce la société occidentale de consommation, capitaliste et consumériste, dans son évolution récente, qui me rendait la vie en son sein insupportable et m'incitait à en dénoncer les excès, à m'en désolidariser, et finalement à la fuir ....?
A ces questions, je n'ai toujours pas de réponses ...
La suite "A l'ombre des Tilleuls".